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« Le romani porte en lui toute l’histoire du peuple rom »

Gheorghe Sarau, linguiste émérite et professeur de langue romani à la Faculté de Bucarest, est la personnalité de référence en matière de langue romani. Il est à l’origine d’un des premiers dictionnaires roumain/romani. Outre le romani, Gheorghe Sarau parle anglais, russe, magyare, bulgare, espagnol... Il ne lui reste plus qu’à se mettre au français !

D’ou vient le Romani ?
La langue romani vient du sanskrit indien. On estime que les protos-Roms, qui de fait étaient des Indiens, sont partis vers l’an mille, emportant avec eux la partie noble de la langue. Pendant 30 à 60 ans, la communauté a parcouru l’empire byzantin. En étudiant leur langue, on peut suivre tout le voyage parcouru par les Roms, avec des mots empruntés au grec, au turc, au russe, mais aussi de l’afghan, du pachtoune… En déchiffrant le romani, on remarque que certains groupes de Roms n’ont pas développé le même vocabulaire et n’ont donc pas emprunté le même itinéraire, comme la communauté russe.


Qu’est-ce qui vous plaît dans l’apprentissage de cette langue ?
En tant que linguiste, je me sens comme Champollion déchiffrant les hiéroglyphes égyptiens ! Je ne suis pas rom, j’ai appris le romani par les livres, ceux de Jean Vaillant, un voyageur français qui a été l’un des premiers à étudier la communauté rom, en 1886. C’est amusant de voir que beaucoup de mots romani découlent de modes de vie disparus ou nouveaux. Comme il n’ y a que deux saisons en Inde, la saison sèche et la saison des pluies, il a fallu inventer des équivalents au printemps et à l’automne…


Quelles sont les grandes étapes de l'histoire de la langue ?
La langue raconte l’émancipation sociale des Roms. La première a eu lieu en Russie, dans les années 50, quand Staline interdisait de parler certaines langues en dehors de leurs territoires. En Yougoslavie, sous Tito, en revanche, on respectait les langues minoritaires : à partir de 1980, on a vu apparaître des émissions radio, des journaux en Romani. C’est aussi la découverte des premiers poètes issus de la communauté tels que Slobodan Berbeski, président de la première union de l’internationale des Roms… En elle, la langue romani porte toute l’histoire du peuple rom.


Comment considérez-vous la place du romani aujourd’hui ?
Depuis 1990, le dernier mouvement d’émancipation rom a lieu ici en Roumanie, avec un apprentissage scolaire de la langue et la production de livres en romani. La langue, c’est la chance des Roms. Dans la vie, on apprend d’abord à parler, à réciter, puis à jouer du théâtre, à composer… Ce qui est miraculeux, c’est que cette langue n’a jamais bénéficié d’un soutien institutionnel. Pourtant, elle a survécu. L’espoir aujourd’hui, ce sont les jeunes mamans qui enseignent le romani à leurs enfants. Bien sûr, ce n’est pas suffisant, il faut continuer de cultiver cette langue : on voit apparaître des concours de création et de connaissance du romani. Plusieurs de mes élèves participent aux olympiades nationales et internationales.

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